Paralysie de la planification : Qui est vraiment responsable des retards dans la construction de logements ? (Partie 1)

Le développement du logement au Canada est confronté à de sérieux défis et la construction de nouveaux logements prend trop de temps et coûte trop cher, les procédures d'approbation prenant des mois, voire des années. 

Essayons de répondre à la question suivante : "Combien de temps perd-on ?  

L'accent est mis sur cinq régions clés : L'Ontario, la Colombie-Britannique, l' Alberta, le Québec et la Nouvelle-Écosse. Ces régions reflètent un mélange des plus grands marchés urbains du Canada, des villes à croissance rapide et des endroits qui expérimentent de nouvelles politiques de planification. 

Diverses sources ont été consultées, notamment des rapports de planification municipale, des recherches universitaires (menées par des institutions telles que l'université Simon Fraser et la Building Industry and Land Development Association (BILD)), des enquêtes sectorielles et des commentaires directs de promoteur immobilier .  

Voici une analyse province par province de ce qui se passe et des raisons pour lesquelles cela a une incidence sur l'accessibilité, l'offre et l'avenir de l'immobilier résidentiel au Canada. 

Ontario  

En Ontario, et plus particulièrement dans la région du Grand Toronto (GTA), les approbations de projets dépassent souvent deux ans. Les approbations de plans d'implantation durent en moyenne 23 mois (RENX2025), bien au-delà de l'objectif législatif de 60 jours. La plupart des projets de taille moyenne à grande sont confrontés à des retards de 20 à 25 mois (environ 2 ans), certains atteignant même 34 mois (BILD, 2024). Ces retards coûtent environ 230 000 à 299 000 dollars par mois pour un projet de 100 unités, soit un total estimé à 3,5 milliards de dollars par an en inefficacité économique (Ontario Construction News; ConstructConnect, 2024). 

Ces délais résultent des multiples étapes d'approbation, de modification du plan officiel, de changement de zonage, de contrôle du plan d'occupation des sols et d'examen de l'aménagement urbain. Chaque étape ajoute un mois de retard, et chaque mois de retard se traduit par des coûts plus élevés, qui sont répercutés directement sur les acheteurs, réduisant ainsi l'accessibilité, en particulier pour les primo-accédants et les familles à revenus moyens. Dans certains cas, les promoteurs abandonnent leurs projets en raison de la charge financière et des délais excessifs (LEXPERT, 2024). 

En 2023, plus de 1,25 million d'unités de logement dans l'ensemble de l'Ontario avaient reçu une autorisation d'aménagement mais n'étaient pas construites. Dans la seule ville de Mississauga, 34 800 unités approuvées étaient inactives ou seulement partiellement construites. Sur l'ensemble des unités approuvées, seules 331 600 sont véritablement prêtes à être construites (entièrement approuvées avec les permis et les services) ; 731 000 autres unités nécessitent encore d'autres approbations (BILD; The Pointer; Global News, 2023). 

Les taxes municipales ont également fortement augmenté, dépassant aujourd'hui 122 000 dollars pour les appartements en copropriété et 165 000 dollars pour les maisons individuelles (BILD, 2023). Il existe également des preuves d'annulations dues à des contraintes financières telles que les coûts de construction, les coûts des matériaux, les pénuries de main-d'œuvre, les taux d'intérêt et plus encore. Au premier trimestre 2025, 5 734 logements ont été annulés ou réaffectés en Ontario en raison de pressions financières. À l'échelle nationale, 22 % des constructeurs d'habitations déclarent avoir annulé des projets en raison de la hausse des coûts et du resserrement des marchés (Linkedin, Toronto Star via Reddit, 2025). 

"Chaque mois de retard ajoute environ 2 600 à 5 600 dollars par unité aux coûts, ce qui augmente le prix des nouvelles maisons de 40 000 à 90 000 dollars. BILD (2025) 

 

Colombie-Britannique 

Dans la région métropolitaine de Vancouver, la construction de logements est de plus en plus retardée et soumise à des contraintes financières. Plus de 73 000 unités de logement approuvées n'ont pas encore été construites, en grande partie à cause des frais d'aménagement (DCC) et des taxes municipales (Construction Connect, 2024). Ces obstacles financiers bloquent l'offre de logements dont on a besoin de toute urgence, alors que la demande de la population augmente. 

Les promoteurs luttent contre la forte augmentation des coûts. Les taux de financement ont grimpé à 9-12%, tandis que les frais municipaux, tels que les DCC et les nouveaux frais de commodité (ACC), représentent maintenant 12-15%, et parfois jusqu'à 30-35% des coûts totaux du projet (RENX, 2023). Dans certains cas, les DCC ont augmenté jusqu'à 300 %, ce qui exerce une pression supplémentaire sur la viabilité du projet (RENX, 2023). 

Metro Vancouver produit actuellement environ 23 424 nouvelles unités de logement par an, mais la région a besoin d'environ 37 757 unités par an pour répondre à la demande. Cela signifie que les mises en chantier doivent augmenter de 61 % pour combler l'écart entre 2022 et 2026, soit 22 668 logements supplémentaires par an(Daily Hive, 2024). Les délais d'approbation restent également un obstacle, avec une moyenne de 15,2 mois par demande à Vancouver(Storeys, Daily Hive, 2023). 

En réponse, Vancouver a introduit le cadre "3-3-3-1", qui prévoit 3 jours pour la réception, 3 semaines pour l'examen, 3 mois pour la décision et 1 signature finale, mais son impact reste limité jusqu'à présent (UDI, 2024). Les leaders de l'industrie comme Rachel Lei (Keltic Canada) préviennent que la région a besoin de 50 000 à 55 000 logements par an, mais qu'elle est loin d'y parvenir en raison des obstacles réglementaires, des frais excessifs et de la lenteur des approbations (RENX, 2024).  

"Les nouvelles règles ne sont rien d'autre que de la poudre aux yeux... Le simple fait de désigner une propriété pour une densité plus élevée n'en fait pas automatiquement un site de développement viable. Les détails comptent". - Daily Hive, 2023 

 Alberta  

L'Alberta surpasse généralement des provinces comme l'Ontario et la Colombie-Britannique en ce qui concerne les délais de développement résidentiel. Dans le corridor Calgary-Edmonton, les délais d'approbation moyens sont de 13,5 mois à Calgary et de 12,9 mois à Edmonton, ce qui est plus rapide que dans la région métropolitaine de Vancouver. (Institut Fraser, 2023). 

Cependant, les retards persistent en Alberta. À Calgary, les permis d'aménagement prennent en moyenne 130 jours, ce qui dépasse l'objectif de 120 jours fixé par la ville, tandis que les modifications de l'utilisation des sols prennent 187 jours, ce qui dépasse l'objectif de 180 jours(City of Calgary, 2025). Les recours contre les permis d'aménagement ont également augmenté, chaque recours coûtant aux promoteurs environ 500 dollars par jour jusqu'à ce qu'il soit résolu (Global News, 2025). À Edmonton, les réformes de zonage visant à freiner l'étalement urbain ont fait l'objet d'une opposition promoteur immobilier en raison de retards dans les services d'infrastructure et la coordination de la planification.(CBC Edmonton, 2024). BILD Alberta rapporte que les interprétations incohérentes du code du bâtiment et les examens de permis prolongés ajoutent des mois aux délais (BILD Alberta, 2024).  

Entre-temps, l'Alberta a reçu l'accès à 6 milliards de dollars de financement fédéral pour le logement et les infrastructures, mais ce financement reste incertain, car la province a résisté aux conditions liées aux réformes du zonage et au gel des frais, ce qui pourrait retarder un soutien essentiel au développement du logement(CBC, 2024). En réponse, la province a lancé le portail "Stop Housing Delays" en novembre 2024, offrant aux promoteurs et aux municipalités une plateforme pour signaler les obstacles bureaucratiques et contribuer à informer les efforts de réforme provinciaux (LiveWire Calgary, 2024).  

Malgré ces obstacles, le secteur du logement de l'Alberta a fait preuve d'un grand dynamisme : 33 577 nouveaux logements avaient été mis en chantier en septembre 2024, soit une augmentation de 35 % d'une année sur l'autre, y compris un record de 9 903 mises en chantier d'appartements au cours du seul premier semestre de l'année (Live Wire Calgary, 2024). Ces chiffres suggèrent que l'approche proactive et les avantages réglementaires de la province contribuent à accélérer la construction de logements dont on a tant besoin. (Fil d'actualité Calgary, 2024). 

"Le portail Stop Housing Delays permettra au gouvernement de l'Alberta d'entendre directement les promoteurs, les municipalités et les partenaires... Cela permettra d'identifier et d'éliminer les obstacles et, en fin de compte, de construire des logements plus rapidement. - CTV News, 2024 

Québec 

Au Québec, les réglementations en matière de préservation du patrimoine ont un impact considérable sur les délais de construction des logements. Une enquête menée auprès de 42 promoteurs a révélé que les projets de construction bloqués retardent la livraison d'au moins 25 000 unités de logement dans la province(CityNews, 2023). Environ 14 500 de ces unités sont prévues à Montréal et dans les régions avoisinantes, les promoteurs citant comme causes principales des retards la lourdeur des processus d'octroi de permis, les obstacles liés au zonage et la résistance du public à la densification(CityNews, 2022). Un exemple frappant est que "20 pour cent des demandes de désignation patrimoniale sont à l'étude depuis plus de 10 ans"(CityNews, 2020). 

Pour aggraver l'insuffisance de l'offre, le Québec connaît une forte baisse des mises en chantier et des taux d'inoccupation. Un déficit de 100 000 unités de logement dans la province a été estimé(CTV, 2022 ). La profondeur de cette pénurie d'offre est intensifiée par un ralentissement de la construction. Entre janvier et novembre 2023, le Québec n'a connu que 29 963 mises en chantier, soit une baisse de 35 % par rapport à la même période de l'année précédente(IEDM, 2023). À Rosemont, par exemple, un règlement visant à préserver 561 maisons à toit plat a été reporté en raison des préoccupations des propriétaires, ce qui illustre la façon dont les considérations patrimoniales retardent le développement(Global News, 2018). 

Pour relever ces défis, Montréal a annoncé une nouvelle norme visant à accélérer l'obtention des permis de construire. Cette initiative, qui devrait être mise en œuvre en 2025, établit une période d'attente maximale de 120 jours pour les permis de construire. Ce changement fait suite à des retards antérieurs, le traitement de certains permis ayant pris jusqu'à deux ans. La nouvelle norme devrait rationaliser le processus d'approbation et faciliter la construction de nouvelles unités de logement(Smart Capital, 2024). 

Malgré les efforts déployés, les promoteurs continuent d'exprimer leur inquiétude quant à la manière dont les réglementations en matière de patrimoine peuvent entraver la construction de logements. Cela souligne l'importance de trouver une solution équilibrée qui préserve le patrimoine culturel du Québec tout en répondant à la demande de logements.(Global News, 2018

"Il n'est pas normal que la ville de Vancouver, à elle seule, ait enregistré autant de mises en chantier que l'ensemble de la province de Québec. - IEDM, 2023 

Nouvelle-Écosse  

Halifax, le plus grand centre urbain de la province, a introduit le Centre Plan pour simplifier le zonage et rationaliser les approbations de développement. Cependant, le plan a connu des retards importants. Les accords de développement prennent actuellement entre 8 mois et 2,5 ans, bien au-delà de l'objectif de 8 mois fixé par la ville. Les demandes de rezonage prennent de 2 à 16 mois, alors que l'objectif est de 3 à 8 mois. Les approbations de lotissement prennent en moyenne 7,5 mois, soit près du double de l'objectif de 4 mois (Ville de Halifax, 2023). Ces délais ralentissent la livraison de logements et créent de la frustration chez les promoteurs et les planificateurs (Ville de Halifax, 2023). 

Pour remédier à la pénurie d'offre, Halifax a introduit des réformes de zonage, les nouveaux changements pouvant débloquer jusqu'à 200 000 nouvelles unités résidentielles à l'échelle de la ville (CBC News, 2024). La ville a également obtenu un soutien fédéral par le biais du Fonds d'accélération du logement, qui vise à accélérer le développement dans les zones de croissance clés(CBC News, 2024). Pourtant, malgré ces efforts, des limites administratives et procédurales persistent. Selon l'indice Halifax 2024, les mises en chantier ont augmenté de 37,5 %, passant de 3 387 unités en 2022 à 4 657 en 2023, mais les achèvements ont légèrement diminué, passant de 3 061 à 2 954. Les données du début de 2024 montrent que les mises en chantier atteignent 4 691 unités, avec seulement une modeste augmentation de 225 unités dans les achèvements (Partenariat d'Halifax, 2024). 

La Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) prévient que la Nouvelle-Écosse doit plus que doubler le nombre annuel de mises en chantier, pour passer d'environ 5 400 à plus de 12 500 unités entre 2025 et 2035, afin de rétablir l'accessibilité financière. Un tel succès permettrait de réduire le prix moyen des logements de 511 000 $ à moins de 406 000 $ et de faire baisser les loyers de 6 %. (Marché du logement en Ontario, 2025). Ces projections renforcent la nécessité d'obtenir des autorisations plus efficaces et plus prévisibles et d'accélérer l'achèvement des projets. Sans de réelles améliorations dans l'exécution, même des politiques audacieuses risquent de ne pas réussir à résoudre la crise du logement à Halifax. 

"En fin de compte, la ville, d'un point de vue idéologique, ne semble pas avoir intérêt à maximiser le nombre de logements. - CTV News, 2023  

 

Résumé 

La crise du logement au Canada est aggravée par des processus lents, complexes et coûteux dans toutes les provinces, les retards étant dus à une bureaucratie stratifiée, à des frais élevés, à des contraintes patrimoniales et à une mauvaise coordination interministérielle. En Ontario et en Colombie-Britannique, les délais dépassent souvent deux ans, tandis qu'au Québec et en Nouvelle-Écosse, les projets sont bloqués malgré les réformes politiques. L'Alberta obtient de meilleurs résultats, mais connaît encore des retards. En l'absence de réformes urgentes visant à rationaliser la planification, à réduire les restrictions et à aligner les politiques, les objectifs en matière de logement resteront hors de portée et l'accessibilité continuera à se dégrader. 


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